Alain Decaux et la télévision (3/3) : « Notre émission s’est arrêtée car De Gaulle est entré en jeu »

Alain Decaux et André Castelot présentant un épisode de leur émission « Les énigmes de l’histoire » consacrée à l’Homme au Masque de Fer – Janvier 1957 (capture d’écran – INA)

Interviewer Alain Decaux c’est un peu comme ouvrir une encyclopédie dont les pages se tourneraient toutes seules. Durant cette heure et demie d’entretien, j’ai eu le sentiment de voir l’histoire de la radio et de la télévision sous mes yeux. Mieux, j’avais l’impression d’assister à une projection privée de sa célèbre émission Alain Decaux raconte. Déjà auteur de plusieurs livres, l’homme excelle depuis 1951 à la radio grâce à son émission La Tribune de l’Histoire (2/3 : « Nous voulions rendre l’histoire accessible à tous« ). Un nouvel amour qui durera jusqu’à la fin des années 1980 va pourtant bousculer à nouveau son existence.

« Tout a commencé en 1956. Jean d’Arcy – un grand directeur des programmes de la télévision française – voulait produire des émissions régulières. Il a demandé à quelques réalisateurs de plancher sur des projets. Il y avait notamment Claude Loursais qui s’est fait connaître avec la série policière Les cinq dernières minutes mais surtout Stellio Lorenzi. D’Arcy lui avait confié la mission de produire, chaque mois, une émission historique. Connaissant notre émission radiophonique, il s’est tourné vers André Castelot et moi tout de suite ». L’émission s’appellera Les énigmes de l’histoire et comptera dix numéros entre mai 1956 et août 1957. Les téléspectateurs se sont notamment passionnés pour l’histoire de l’homme au Masque de Fer ou pour le mystère qui entoure encore aujourd’hui le Chevalier d’Eon. « Cette émission a très bien marché. Elle était réalisée en direct par Stellio. Dans la première séquence des acteurs jouaient une pièce qu’André et moi écrivions à tour de rôle. Cela m’a rappelé ma jeunesse (1/3 : « A 8 ans, mon premier livre était déjà consacré à l’histoire« ) lorsque je faisais du théâtre au lycée. Comme dans l’émission de radio, un débat suivait. Je défendais une thèse et André une autre… mais très souvent nous pensions la même chose (rires). Et puis, un jour, nous n’avions plus d’énigmes à proposer… ».

Dans cet extrait de janvier 1957, André Castelot et Alain Decaux reviennent sur l’esprit de l’émission Les énigmes de l’histoire : « En essayant de les résoudre, nous faisons en quelque sorte le travail d’un détective » (INA) 

La télévision c’est l’avenir

La rencontre a lieu dans un bistrot parisien dans le courant de l’année 1957. Stellio Lorenzi – envoyé par Jean d’Arcy – doit proposer aux deux historiens un nouveau programme. La tâche est difficile. Alain Decaux et André Castelot croulent sous le travail. En plus de la rédaction de leurs livres et de leur émission hebdomadaire à la radio, le réalisateur d’origine italienne leur propose de participer à l’écriture d’une émission sur un grand sujet historique. « Nous avons dit non dans un premier temps. Contextualiser et scénariser une période ou un événement nous demandait beaucoup de temps et de préparation. Nous le faisions déjà pour la radio alors la télévision… ». Un deuxième rendez-vous est organisé. Le non l’emporte à nouveau mais c’était sans compter la colère de Stellio Lorenzi. « Il n’avait pas bon caractère. Vous imaginez, il était Italien, protestant et communiste ! (rires) Mais, une fois apaisé, il nous a regardé droit dans les yeux et nous a expliqué ce qu’allait devenir la télévision dans le futur. La démonstration était implacable. Tout ce qu’il nous a dit s’est, par ailleurs, réalisé. A la fin de ce monologue qui a duré vingt minutes, André et moi nous sommes tus. Nous nous sommes regardé et avons finalement donné notre accord à Stellio ».

La caméra explore le temps – le titre est trouvé par Alain Decaux – débute dès septembre 1957 sur la première chaîne de l’ORTF. Elle durera près de dix ans et contiendra 39 épisodes dont l’exécution du Duc d’Enghien, l’affaire Calas, les Templiers et deux extraordinaires pièces sur les personnages emblématiques de la Révolution Française que sont Danton et Robespierre. Le 29 mars 1966, le rideau tombe. « Notre émission s’est arrêtée car De Gaulle est entré en jeu. Il voulait que l’on se débarrasse de Stellio Lorenzi car il était dans les premiers mouvements de grève qui ont secoué l’ORTF en 1965 et 1966. Bien évidemment, André et moi avons refusé ». Quelques jours plus tard dans la presse, le directeur de la chaîne – après une visite du ministre de l’Information Alain Peyrefitte – annonce la fin de la collaboration entre les trois hommes mais la poursuite de l’émission. « Il n’était pas question de continuer le programme avec un autre réalisateur. Cela aurait été une honte absolue. André Castelot et moi-même avons donc rédigé un communiqué pour annoncer la fin de La caméra explore le temps« .

La caméra explore le temps du 10 octobre 1964 – Générique et début de la pièce consacrée à Danton et à la Révolution Française (INA) 

Alain Decaux ne reste pas longtemps sans rien faire. En 1969, Jean Cazeneuve (Président de l’ORTF entre 1964 et 1974) vient frapper à sa porte. Sa demande est précise : « Je veux que vous racontiez. Vous vous mettez face à une caméra et vous racontez ».  L’aventure qui ne devait durer que le temps d’un été continuera jusqu’en 1981 et – sous un nouveau nom – jusqu’à la fin de la décennie. « Je ne sais pas faire de choses courtes », plaisante l’académicien. D’abord diffusée le vendredi à 23 heures, l’émission est finalement programmée tout au long de l’année et sa durée sera allongée (de trente minutes, elle passe à quarante-cinq minutes). En juin 1988, une sonnerie retentit dans le domicile parisien d’Alain Decaux. Il décroche. « Vous êtes Alain Decaux ? Je suis Michel Rocard. Je sais que votre temps est précieux mais le mien l’est également. Je vais vous poser une question : voulez-être être ministre ? ». La carrière télévisuelle de l’académicien s’arrête là. Après une longue hésitation (lire le verbatim ci-dessous), il accepte finalement de devenir ministre de la Francophonie jusqu’en mai 1991.

Dans cet extrait de l’émission « Alain Decaux raconte » du 30 octobre 1979, l’académicien évoque avec la passion qui le caractérise l’enterrement de Louise Michel en 1905 (INA)

VERBATIM

« Maurice Druon m’a convaincu d’entrer dans le gouvernement de Michel Rocard »

« Quand j’ai reçu l’appel de Matignon, en juin 1988, je ne savais que faire. J’en ai discuté avec mon épouse qui a essayé de me raisonner. Elle n’était pas favorable à mon entrée dans le gouvernement. Il est vrai que j’avais deux émissions – à la radio et à la télévision – qui marchaient bien, des livres qui se vendaient bien également… J’étais ennuyé alors j’ai appelé des amis qui avaient déjà été ministres autrefois. J’ai téléphoné à Maurice Druon. Cette conversation est gravée dans ma mémoire. Il m’a dit : « Alain, on t’offre de servir l’Etat et, en plus, dans une discipline où tu es très compétent. Cela serait vraiment très mal de refuser ». Finalement, c’est un gaulliste qui m’a convaincu d’entrer dans le gouvernement de Michel Rocard (rires) ».

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